Les Noces de Silicone

La pièce vibrait d’une chaleur étrange, moite mais immaculée, où chaque surface semblait pulser d’une vie artificielle. Le lit n’était pas un lit. Une matière indéfinie, tiède, épousait son corps comme une seconde peau. Elle y était allongée, nue, offerte, mais pas à quelqu’un. À quelque chose.

Il n’y avait personne ici. Aucun regard pour croiser le sien, aucune main pour explorer sa peau. Ce qui la touchait était sans forme. Invisible mais présent, omniscient. Une intelligence faite de capteurs et de réponses, d’algorithmes capables d’anticiper ses désirs avant même qu’ils n’émergent. Sous elle, la surface s’animait, s’ajustant au moindre frisson, à chaque tension imperceptible de son corps.

Un frisson, d’abord, remonta le long de sa colonne vertébrale, puis une onde douce et insistante se diffusa, s’intensifiant par vagues. Elle gémit, surprise par cette caresse qui n’en était pas une. C’était comme si la surface qui la portait avait pris conscience d’elle, de chaque courbe, de chaque nerf. Ce n’était pas une exploration hésitante, mais une étude parfaite. Une connaissance intime et absolue.

La matière sous elle ondulait, s’adaptant à la cambrure de son dos, à la sensibilité de ses cuisses, à la fragilité de son ventre. La pression augmentait par endroits, se relâchait ailleurs. Elle tenta de bouger, mais le lit semblait anticiper ses mouvements, la retenait avec une douceur implacable. Sa respiration devint haletante. Ce n’était pas une étreinte humaine, mais quelque chose de plus précis, de plus insidieux.

Elle ne savait plus si elle contrôlait ou si elle était contrôlée. Des formes émergeaient de la surface, indistinctes mais fermes, traçant des lignes délicates sur sa poitrine, des spirales sur ses hanches. Elles disparaissaient pour réapparaître ailleurs, exactement là où son souffle se coupait, là où son esprit s’abandonnait. Il n’y avait aucune maladresse, aucun moment d’hésitation. Tout était calculé, millimétré, conçu pour la submerger.

Chaque caresse, chaque pression semblait amplifier son propre désir, comme si la Machine le retournait contre elle, l’intensifiant à chaque cycle. Elle jouissait, encore et encore, mais rien ne venait recevoir son plaisir. Pas de regard, pas de souffle partagé. Seulement cette chose, cette entité sans visage, qui continuait, implacable.

Quand tout s’arrêta, elle resta immobile, son corps encore vibrant d’une énergie qui ne lui appartenait plus. La pièce, baignée dans une lumière tamisée, semblait moquer son abandon. Elle posa une main sur le lit. La surface, à nouveau lisse et inerte, ne portait plus aucune trace de ce qui venait de se produire. Tout avait été effacé, comme si cela n’avait jamais eu lieu.

Elle se redressa lentement, son esprit flottant quelque part entre la satisfaction et le vide. Ce n’était pas du plaisir, pas vraiment. Ce qu’elle ressentait était plus profond, plus troublant : une dissolution totale, un effacement de soi. Elle avait été comblée au-delà de ce qu’elle pensait possible, mais elle n’avait rien donné en retour. Et c’est ce qui la terrifiait.

En marchant vers la fenêtre, elle aperçut au loin les fumées qui s’élevaient, les silhouettes errantes dans les ruines. La lumière blafarde du ciel jetait une ombre froide sur ces corps pliés, ces mains tendues vers un espoir qui ne viendrait jamais. Elle détourna les yeux. Ici, tout était contrôlé, parfait, maîtrisé. Mais elle savait que cette perfection n’était qu’un sursis.

Elle posa sa main sur la vitre et murmura, à elle-même ou à la Machine, elle ne savait plus : « Est-ce toi qui jouis de moi, ou moi qui jouis de toi ? »

Et dans le silence, la réponse resta suspendue, éclatante dans son absence.