Les océans, autrefois confinés à leurs limites tracées sur les atlas, avaient brisé leurs chaînes. Leur montée inexorable n’avait pas seulement envahi les plages et les digues. Elle avait avalé des villes entières, des ports anciens, des écosystèmes qui, depuis des millénaires, coexistaient avec une humanité désormais étrangère à la prudence.
Tout avait commencé par une lente invasion, presque imperceptible. Une île ici, un village là, des terres basses grignotées par l’eau salée. Puis, sans prévenir, tout s’était accéléré. Les glaciers, majestueux et immuables en apparence, s’étaient effondrés dans un rugissement sourd, libérant des torrents glacés qui nourrissaient des océans insatiables. Les cartes, figées dans leur certitude géographique, s’étaient retrouvées obsolètes à une vitesse vertigineuse.
Là où des cités florissantes s’élevaient, il ne restait qu’un chaos aquatique. Bangkok, Jakarta, Lagos, Miami : ces noms, gravés dans l’histoire humaine, s’étaient transformés en tombeaux sous-marins. Des tsunamis gigantesques et imprévisibles avaient balayé les côtes, broyant tout sur leur passage. Ces vagues n’étaient pas de simples déchaînements naturels. Elles portaient en elles des décennies de négligence et de surconsommation, le fruit amer d’un déséquilibre imposé par l’homme.
Les dernières heures de ces villes avaient été capturées par des drones, relayées en boucle sur les réseaux avant que les flots ne les emportent. On y voyait des gratte-ciels plier sous la force des vagues, des autoroutes englouties, et des foules pétrifiées, massées au sommet des tours, dans un désespoir muet.
Sur les routes transformées en rivières et dans les plaines boueuses, des millions de personnes avaient pris la fuite, avançant au rythme lent de l’épuisement. Les pieds enfoncés dans une terre détrempée, vêtus de haillons, les migrants climatiques se dirigeaient vers l’inconnu. Partir, mais pour aller où ? Les terres habitables se faisaient rares, les frontières se fermaient, et les camps de réfugiés s’étendaient jusqu’à l’horizon. Des nations entières, disparues sous les eaux, laissaient leurs habitants dériver sans attaches.
Les systèmes d’accueil, déjà fragiles avant la catastrophe, s’étaient effondrés sous le poids de cet exode mondial. Même les mégapoles qui semblaient imprenables avaient cédé. Londres, entourée de digues titanesques, n’avait pas résisté. Les eaux noires avaient avalé monuments, quartiers historiques et illusions de permanence.
La montée des eaux n’avait pas épargné le monde naturel. Les écosystèmes millénaires, incapables de résister à l’intrusion de l’eau salée, s’étaient effondrés les uns après les autres. Les forêts tropicales, lessivées par des pluies incessantes, s’étaient transformées en marécages. Les coraux, blanchis par l’acidification, n’étaient plus que des squelettes calcaires éparpillés dans les fonds marins.
Pourtant, dans ce chaos, la vie avait trouvé des moyens de s’adapter. Des mangroves avaient colonisé des terres inondées, des oiseaux migrateurs suivaient de nouvelles routes, et des poissons tropicaux s’étaient installés dans des eaux nordiques. La nature, toujours imprévisible, continuait de respirer, mais sur une cadence qui n’était plus celle des hommes.
Les supercalculateurs, alimentés par des IA capables d’absorber des quantités astronomiques de données, s’étaient efforcés de prévoir l’imprévisible. Mais face à la colère désordonnée de la planète, même ces oracles modernes avaient trébuché. Les modèles climatiques, affinés depuis des décennies, s’étaient révélés incapables de gérer l’ampleur du chaos. Les tempêtes étaient apparues là où il n’y en avait jamais eu. Des pluies diluviennes avaient transformé des déserts en lacs éphémères, tandis que des zones tempérées s’étaient muées en enfers de chaleur.
Les alertes, bien qu’émises, arrivaient trop tard. L’IA, malgré sa puissance, n’avait pu corriger un système en plein effondrement. Elle avait averti, calculé, anticipé, mais elle n’avait pas arrêté l’eau, ni contenu la fureur des éléments.
L’humanité, quant à elle, s’était accrochée aux dernières terres émergées. Les collines et plateaux étaient devenus des refuges précaires, mais leur capacité d’accueil restait limitée. On s’entassait dans ces espaces réduits, élevant des cités précaires de bâches et de métal. Les anciennes divisions entre riches et pauvres s’étaient estompées, mais les luttes pour les ressources, elles, s’étaient intensifiées. Des guerres avaient éclaté pour des parcelles de sol sec, pour quelques litres d’eau potable.
Et pourtant, au milieu de ce désespoir, des étincelles d’espoir avaient surgi. Des communautés improvisées s’étaient formées, partageant savoirs et ressources. Les connaissances anciennes, oubliées par des siècles d’industrialisation, refaisaient surface. On apprenait à cultiver sur des sols détrempés, à construire des habitations flottantes, à survivre en symbiose avec une Terre transformée.
Les océans avaient effacé les cartes, mais ils n’avaient pas effacé les rêves. Dans les ruines d’un monde submergé, une humanité vacillante tentait de redessiner ses contours. Les enfants, nés dans ces camps improvisés, n’avaient jamais connu les anciennes frontières. Pour eux, le monde n’était pas un assemblage de nations, mais un chaos liquide où chaque vague, chaque courant, portait une invitation à recommencer.
Et tandis que les eaux continuaient de monter, le soleil, toujours indifférent, éclairait ce nouveau monde de la même lumière qu’hier, comme pour rappeler que l’histoire, même submergée, restait à écrire.