Les veines vides

L’eau est devenue une absence. Non pas une absence évidente, criante, mais une absence insidieuse, qui s’insinue dans chaque regard, dans chaque geste. Les rivières ne coulent plus. Leurs lits secs serpentent comme des cicatrices blanchies par le sel, vestiges d’une abondance que personne n’a su préserver. Le vent, chargé de poussière et d’oubli, trace des sillons sur ces terres stériles où le vivant n’a laissé que des empreintes effacées.

Dans les villes, l’eau n’est plus qu’un mot dans la bouche des puissants. Elle circule derrière des murs, dans des canalisations inviolables, réservée à ceux qui peuvent payer le droit de respirer son humidité. Les fontaines sont devenues des sculptures absurdes, des rappels d’un passé où l’on jouait avec ce qui ne semblait jamais devoir manquer. L’eau, fluide et libre, est devenue un chiffre. Une unité de mesure à négocier, à contrôler, à thésauriser. Les mains qui la touchent sont gantées. Les yeux qui la regardent sont froids.

Aux marges, là où les tuyaux ne vont plus, l’eau se cherche dans des flaques boueuses, dans des gouttières rouillées. Les corps s’y penchent, avides et méfiants. Chaque goutte est une victoire contre la sécheresse, une prière silencieuse. Des enfants portent des bidons deux fois plus lourds qu’eux, leurs pieds nus marquant le bitume craquelé de cette quête infinie. Ils n’ont jamais vu une rivière en mouvement, jamais senti l’odeur d’une pluie qui lave tout. Pour eux, l’eau est une hantise, une absence qui les façonne.

Dans les hauteurs, les derniers glaciers suintent doucement leur agonie. Ces géants blancs, jadis imposants, se rétrécissent en silence, témoins impuissants d’une chaleur qu’ils n’ont pas choisie. Leurs larmes gonflent des torrents qui déferlent brièvement avant de s’éteindre dans le sable. Les montagnes elles-mêmes semblent pleurer, mais personne ne regarde. On exploite leurs dernières ressources, creusant encore et encore, comme si quelque chose pouvait rester.

Et puis il y a l’océan. Ce colosse insaisissable, devenu une menace. Son eau, infinie en apparence, n’offre rien. Elle est amère, contaminée, montée trop haut sur les rivages. Elle lèche les villes abandonnées avec une indifférence froide, engloutissant lentement les terres qu’elle avait autrefois nourries. Ce n’est plus une promesse. C’est un rappel. Un avertissement.

Les veines de la Terre sont presque vides, et celles des humains s’assèchent à leur image. Chaque goutte d’eau est un combat, chaque litre une guerre. Les visages se tournent encore vers le ciel, espérant une pluie qui ne vient pas. Mais le ciel reste blanc, laiteux, saturé de lumière crue. Et dans ce désert de l’attente, l’humanité trébuche, cherchant des réponses là où il n’y a plus que des échos.